Pas de Calais: entre le cap Blanc-Nez et le cap Gris-Nez, un littoral authentique encore préservé

Partagé le 06/05/2025

Entre le Gris-Nez et le Blanc-Nez s’étire l’une des dernières côtes authentiques du littoral français, labellisée Grand Site de France pour la troisième fois consécutive. Au même moment, le département crée le premier Geopark transmarin au monde. Découverte.

C’est beau. Peut-être même un peu plus. Par la route, qui, de Boulogne-sur-Mer, prend la direction de Calais, une courte distance suffit pour basculer dans l’une des dernières côtes authentiques du littoral français. Une trentaine de kilomètres, entre la pointe de la Crèche et Wimereux, jusqu’à la dune de Fort-Mahon, à Sangatte. Dans ce paysage spectaculaire, s’arriment deux caps, le Gris-Nez et le Blanc-Nez, intégrés au onzième Grand Site de France, créé en 2011, renouvelé deux fois, en 2018 et cette année 2025. La mer du Nord et celle de la Manche s’y rejoignent, dans une écume bouillonnante d’où parfois un phoque farceur sort la tête.

En arrière de cette ligne d’eau salée, s’étend en monts immaculés un horizon presque vierge de toutes constructions. De rares villages disparaissent dans le creux des vallées. Des rectangles de labour brun, de pâture verte et de colza jaune s’emboîtent les uns dans les autres, comme un puzzle géant sous le pinceau d’un peintre. Et quand du haut du mont de Couple (163 mètres), point culminant atteint après une ascension pédestre, on domine cet ensemble que colore la lumière fauve du couchant, on en reste bouche bée. Tous les clichés que véhicule le nord de la France dans l’imaginaire français volent ici en éclats…

Loin du tourisme invasif

Il existe vingt-deux Grands Sites en France. Celui des Deux-Caps qui, jusqu’à présent, concernait huit communes du littoral, sera désormais étendu à ce paysage d’arrière-côte ; dix communes s’y ajouteront. Le prestigieux label couronne des années de protection et de soins apportés au territoire. « On le doit en grande partie à nos agriculteurs qui ont protégé le littoral dans une fraternité paysagère, y maintenant la culture du lin, du colza et des céréales, l’élevage des bovins et des ovins, dont le mouton boulonnais, empêchant la bétonisation de la côte », raconte Mireille Hingrez-Céréda, première vice-présidente du département du Pas-de-Calais. L’élue parle avec une timidité touchante de cette « terre rude façonnée par les travailleurs de la mer, qui ont insufflé des valeurs de solidarité familiale et de discrétion, encore la règle aujourd’hui ».

Dans les années 1980, la pêche, recentrée sur Boulogne, a entraîné l’abandon du bord de mer et vidé nombre de petites maisons de pêcheurs, acquises notamment par les Belges voisins. L’immobilier a flambé, à Wissant par exemple, où la moindre cabane de pêcheurs atteint « des sommes parfois indécentes », souffle Sophie Jonquet, directrice de l’Office de tourisme des Deux-Caps. Des artères entières, comme la rue Edgar-Quinet, ont connu des transformations radicales. Pour autant, rien de bling-bling, on n’est pas à Saint-Tropez non plus, et mêmes les rares villas cossues du littoral n’ont jamais rien de Hollywood. L’authenticité tient lieu d’artifice, attirant un public chaque saison plus nombreux. « Nous prenons garde à ne pas encourager un tourisme invasif », plaide Séverine Bastien, en charge du secteur à la Maison des Deux-Caps, sans pour autant en rejeter les effets sur l’économie locale.

Traversé par deux GR (120 et 145), une seule route côtière et une piste cyclable (La Vélomaritime), ce paysage, où alternent hautes falaises, plages de sable, massif dunaire et terres agricoles, n’est pas taillé pour le tourisme de masse. Un unique hôtel 4 étoiles (à Wimereux), quelques hébergements dans des fermes et de charmantes pensions de famille, inspirées du modèle anglais, tiennent à distance les bobos de la capitale. Ici, il faut aimer marcher dans les sentiers bordés d’arquebusiers fleuris aux senteurs de vanille… Et résister à cette mer décorative dans laquelle on attend prudemment le cœur de l’été pour s’y tremper les pieds. Une retenue de Parisien à faire marrer les locaux, qui la trouvent très chaude à 18 °C…

Un bain de nature aussi grandiose que les bains de mer 

À Sangatte, proche de Calais, une nouvelle promenade borde une large plage de sable fin. Wissant, au fond d’une baie, cultive l’art balnéaire depuis 1900. En témoigne, sur l’avenue des Tennis, la jolie et modeste villa Antoinette louée en son temps par le capitaine Charles de Gaulle (plaque commémorative). Là encore, la plage de sable fin s’étend sur 12 kilomètres, bordée sur quelques mètres par un reste du mur de l’Atlantique.

Enfin, plus près de Boulogne, on arrive à Wimereux, où l’on trouve deux cents villas de la Belle Époque, sur les huit cents que comptait la station avant les destructions de la Seconde Guerre mondiale. Bow-windows, tuiles vernissées, façades à pignon, lucarnes néo-Renaissance, toute l’architecture définit ce style Anglo-flamand, inspiré des voisins anglais et belges, ses premiers occupants. Comme à sa création sous le second Empire, Wimereux continue d’entretenir un lien étroit avec la haute bourgeoisie, opulente et discrète comme le sont les fortunes du Nord.

La nature protégée comme jamais encadre les trois principales stations dont l’urbanisme ne déborde pas. Sur la plage Cap-Gris-Nez (commune d’Audinghen), quelques rares maisons solitaires, sur la falaise, tiennent tête au vent et aux modes. Sinon, partout ailleurs, aucun mitage, avec pour résultat un bain de nature aussi grandiose que les bains de mer. Du sommet du cap Blanc-Nez, où se finit le plateau crayeux de l’Artois, on embrasse ce paysage immaculé, fruit d’une gestion minutieuse d’Éden 62, en charge de la gestion des territoires appartenant au Conservatoire du littoral.

« Ici, les aménagements consistent à éloigner les parkings, à guider les publics, à permettre à la flore et à la faune de reconquérir des espaces d’où, peu à peu, elles avaient été chassées », explique Xavier Douard, chargé de mission, pas peu fier de nous montrer les troupeaux de moutons Shetland en écopâturage et les colonies retrouvées de canards Tadorne de Belon. Tout un travail qui, au pied de la falaise, a permis de constituer la plus grande réserve française de mouettes tridactyles (2500 couples), véritable ballet sonore au ras des flots.

Un parc naturel inédit

Alors que l’Angleterre, dont on aperçoit les côtes à moins de 30 kilomètres du cap Gris-Nez, s’est éloignée de l’Europe depuis le Brexit, un projet de création d’un Geopark à l’horizon 2027 la rapproche. Porté par le Parc naturel régional des caps et marais d’Opale d’un côté, et par le Kent Downs National Landscape de l’autre, il sera le premier au monde à inclure un espace marin, dans la Manche. Un ensemble géologique né il y a 8000 ans, quand on pouvait franchir ce passage à pied. De nombreuses initiatives sont prises en matière touristique, comme la création d’une carte qui recense une cinquantaine de sites géologiques dans le Kent et le Pas-de-Calais. Parmi eux, en France, celui des Carrières du Boulonnais où est extraite sur une centaine d’hectares la pierre marbrière de Marquise, depuis la fin du XIXe siècle.

Depuis la départementale 127, une aire de découverte aménagée permet de surplomber la carrière. Un site vertigineux que traversent des routes en palier sur plus de 120 mètres de dénivelé et que l’on peut parcourir en autocar pour de passionnantes visites guidées (lire ci-dessous). Ce qui permet de « connaître ce qui se trouve sous nos pieds pour comprendre ce que révèlent nos yeux », explique Hélène Dehouck, coordinatrice française du projet. Entre Grand Site, Geopark et parc naturel régional, le territoire côtier des Deux-Caps ne manque pas de protection. La beauté se fait si rare…