Au cap Gris-nez, le CROSS coordonne les secours en mer

Partagé le 27/10/2023

Une nuit avec les sauteveurs auprès des migrants : une série de reportage en immersion avec ceux qui veillent sur les réfugiés qui tentent la traversée de la Manche. Nous avons passé une nuit à bord de l’Abeille Normandie, un des navires de secours, et au CROSS, le Centre opérationnel de sauvetage.

Six navires, des avions, hélicoptères et drones et une centaine d'hommes et de femmes en action chaque nuit en mer : coordonner ce dispositif renforcé est la mission du CROSS, le Centre opérationnel de surveillance et de sauvetage. Il est basé au pied du phare du cap Gris-Nez, entre Boulogne-sur-Mer et Calais.

Et en ce début de nuit, c'est plutôt calme dans ce navire immobile, explique Frédéric, le chef de quart affecté au sauvetage : "La situation est assez aléatoire ou imprévisible. Ce soir, effectivement, c'est calme, notamment parce qu'on attend un coup de vent. Or quand il y a du vent, il y a moins de personnes en mer." Autour de lui, il y a de nombreux écrans qui lui servent à gérer la localisation des interventions de sauvetage en mer et les communications. Car le CROSS fonctionne comme une véritable tour de contrôle où les équipes se relaient 24h/24.

Localiser les victimes est complexe

Tanguy Le Guern est le Directeur-adjoint du CROSS : "Depuis trois ans, nous avons fait évoluer nos moyens. Nous avons renforcé le nombre d'opérateurs, c'est-à-dire les personnes qui manipulent les systèmes, ceux qu'on appelle aussi adjoint de quart ou chef de quart dans la Marine nationale. Nous avons un appoint en personnel que nous pouvons déployer en renfort pour prendre les alertes, pour analyser et suivre les situations."

Avoir de la méthode, du sang froid et une solide expérience de la mer et de la Marine, sont indispensable pour un chef de quart confronté à la difficulté de localiser des naufragés. "Le problème, c'est surtout d'avoir très, très peu d'éléments fiables pour pouvoir comprendre ce qui se passe exactement dans chaque situation, détaille Tanguy Le Guern. On va analyser les éléments : d'où est partie la personne ou l'embarcation ; est-ce qu'on arrive à l'identifier par un numéro de téléphone ; est-ce qu'on arrive à la situer. C'est ça le plus compliqué. Aujourd'hui, on a quand même des moyens qui permettent de géolocaliser l'appelant, soit via WhatsApp, soit avec nos systèmes."

Tous les bateaux sont des vigies

"Une fois qu'on a localisé plus ou moins la position, on va s'appuyer sur un dispositif de moyens d'État à la mer. Mais on peut aussi, à certains moments, s'appuyer sur des vecteurs aériens puisqu'il y a un survol quotidien de la zone, mais aussi terrestre, avec les déclarations faites par les témoins ou aussi par les forces de sécurité qui sont déployées sur les plages."

Pour affiner les informations de localisation, le CROSS dispose aussi d'un autre atout : son autre activité qui consiste à réguler la circulation maritime dans le dispositif de séparation du trafic, le DST, véritable autoroute de la mer dans le Pas de Calais. Ce soir là, c'est Jean-David qui est à la manœuvre. Lui aussi est cerné par des écrans : "On appelle les bateaux ou ce sont eux qui appellent pour nous communiquer leur cargaison, s'ils ont des matières dangereuses à bord, leur destination et différentes informations pour qu'on puisse avoir des infos sur le navire et pouvoir, en cas de souci, avoir déjà un début de base de données. Ces navires sont les yeux et les oreilles du CROSS et permettent, selon leur trajet, de pouvoir nous avertir si jamais il y a des détresses particulières sur la voie."

Une remise en cause douloureuse

Le 24 novembre 2021, 27 migrants sont morts dans le naufrage de leur embarcation. L'enquête ouverte a abouti à la mise en examen de cinq sauveteurs du CROSS. Une forme de remise en cause de leur engagement auprès des migrants qui est vécue douloureusement. "Ce n'est pas le naufrage qui nous a affecté puisque nous sommes confrontés à de nombreux naufrages. Il y a une certaine fatalité qui est dure à comprendre, mais que les marins, eux, appréhendent totalement, témoigne Tanguy Le Guern. Mais oui, ça a changé notre façon de voir les choses, parce qu'on sait qu'on est surexposés, qu'on est fragiles. On cherche à se protéger du mieux possible en étant encore plus professionnels qu'auparavant. Ça nous affecte comme n'importe quel corps de métier qui serait attaqué et qui pense avoir bien travaillé."

"La justice fera son travail. Ça fait mal dans un premier temps d'être attaqué alors que toutes les personnes qui viennent ici en CROSS veulent sauver un maximum de personnes. Donc oui, c'est blessant, mais on avance et on est obligé d'avancer pour sauver un maximum de personnes." L'année dernière, le dispositif de sauvetage exceptionnel mis en place dans le Détroit du Pas de Calais a permis de sauver 8.000 vies.